Acadieville 

 

Historique de l’église

Immaculée Conception

d’Acadieville, NB

par Yvon Babineau

le 4 juin, 1995

AVANT-PROPOS

    Ce document est publié à l'occasion du centenaire de l'église d'Acadieville. L'histoire de sa construction  m'a toujours intrigué. Petit garçon, je me demandais comment et qui avait pu placer la croix au haut du clocher.

    A l'aide du journal du Père André Bérubé, nous avons pu répondre à ces questions. Ce journal fut un outil indispensable dans la préparation de ce livret. C'est grâce à lui que nous apprenons aujourd'hui ce qu'ils ont bâti il y a cent ans. En suivant son exemple, nous devrions faire effort pour conserver par écrit les gestes d'aujourd'hui au profit des générations à venir. Dans un siècle je suis certain que nous porterons un grand intérêt à lire à propos de ce que nous avons accompli.

    Je tiens à remercier le Centre d'études acadiennes de l'Université de Moncton, sœur Lilianne McGraw d'Acadieville et les gens qui m'ont donné leur appui, d'une façon ou d'une autre, dans la rédaction de ce travail. Un grand merci à Georges Arseneault, historien, qui m'a aidé dans la technique de recherche et qui a fait la révision de ce document dans un si bref délai.

Yvon Babineau

Le 4 juin 1995

ACADIEVILLE - SES DÉBUTS

    Acadieville est une petite paroisse du nord du comté de Kent au Nouveau-Brunswick. La colonisation de cette communauté date de 1869. On peut retracer ses débuts à l'aide d'articles publiés dans le Moniteur acadien, L'Evangéline et Le Courrier des Provinces Maritimes. Le 6 octobre 1871 un citoyen de Saint Louis de Kent nous raconte son voyage à Acadieville. Le 10 mars 1887, le Courrier des Provinces Maritimes, publie un article de François O. Richard sur les débuts d'Acadieville.

    Dans son article, François O. Richard raconte que la colonie fut fondée en 1869 (c'est une erreur il aurait du dire 1868) à la suite d'une assemblée des paroissiens de Saint-Louis, convoquée à la demande des habitants de la paroisse par le curé d'alors, Rév. Joseph Pelletier. Les gens de Saint-Louis ne voulaient pas morceler leurs terres et les subdiviser parmi les enfants. Il fallait donc voir à l'établissement de nouvelles colonies. Voilà ce qu'on discuta lors de cette assemblée qui eut lieu mardi gras 1869 (1868), à laquelle assistait une foule enthousiaste. M. Urbain Johnson, qui représentait alors le comté de Kent à l'Assemblée législative, fit un discours fort patriotique et encouragea ses co-paroissiens et compatriotes à suivre l'exemple de leurs ancêtres et de se livrer au défrichement de nouvelles colonies.

    Un comité de 16 hommes fut nommé pour aller visiter les terrains les plus recommandés pour la colonisation par les chasseurs. Ils se dirigèrent vers le nord-ouest de Saint-Louis à travers la forêt et à 13 milles environ de Saint-Louis, le long de la rivière Kouchibouguac, ils trouvèrent une étendue de terre fort recommandable. A leur retour, ils firent part à leurs amis de leur découverte, et le représentant, Urbain Johnson, s'adressa de suite au gouvernement d'alors et demanda l'arpentage de ce terrain. Sa supplique fut exaucée et on envoya aux frais du gouvernement un arpenteur subdiviser le terrain en divers lots. Le 9 décembre de la même année 40 colons partirent de Saint-Louis. Ils avaient communié la veille dans l'église de leur paroisse natale le jour de la fête de l'Immaculée Conception. Portant leurs provisions sur le dos et munis de haches et de fusils, ils commencèrent par frayer un chemin à travers la forêt. Tendis que les bûcherons ouvraient la voie qui devait les conduire à leur future demeure, les autres transportaient le bagage et préparaient les provisions. Le troisième jour, on arriva à la rivière Kouchibouguac. Par un froid rigoureux il fallut traverser cette rivière à pied ou plutôt nu- pieds, ce qui dût être fort pénible à cette saison de l'année. Jusqu'ici, on avait couché à la belle étoile sans abri, mais arrivé dans le bloc de terre en question, on bâtit en commun une cabane de billots que l'on couvrit de branches.

    Après avoir parcouru le terrain, on tira au sort pour distribuer les lots et plusieurs commencèrent à travailler. Les moins courageux s'en retournèrent désappointés, mais le plus grand nombre persévérèrent. Trois membres de cette première caravane, Dominique Gallant, Joseph Hébert, Silvestre Babineau y passèrent l'hiver. Au printemps suivant (1869) ils furent rejoints par leurs compagnons.

    L'abbé Marcel-François Richard, ordonné prêtre le 31 juillet 1870 et chargé de la paroisse de Saint-Louis en décembre de la même année, prit intérêt dans cette nouvelle colonie. Il la visita au printemps de 1871 et y célébra la première messe chez Dominique Gallant. De temps à autre il s'y rendait faire des missions, et ses paroles d'encouragement ont beaucoup contribué dit-on au progrès de la colonie. Le 25 mars 1873, après avoir célébré la messe chez M. Clément Daigle, il annonça que le lendemain il fallait prendre du bois et commencer la construction d'une église. Le soir du même jour le bois de la charpente était sur les lieux et au mois de juin on y chantait la première grand-messe. Cette église mesurait 30x25 pieds à laquelle s'attachait une petite sacristie. Elle était située au nord de l'église actuelle, l'autre côté du ruisseau.

    La colonie se développe petit à petit et au bout de quelques années elle est érigée en paroisse civile, de sorte qu'elle administre ses propres affaires et fournit ses conseillers au Conseil municipal. Père André Bérubé rapporte en 1887 que la paroisse compte 468 personnes et 83 familles.

    Curieusement, aucune de ces personnes qui ont écrit sur les débuts d'Acadieville ne mentionne l'origine de son nom. On sait qu'en 1871 on disait "L'Acadie-Ville" et parfois même "région de L'Acadie". M. Urbain Johnson et Mgr Marcel François Richard étaient très patriotiques. On peu penser que l'un d'eux aurait suggéré ce nom.

    L'abbé M.-F. Richard (qui devient plus tard Mgr Richard) desservit la paroisse pendant 16 ans. Il est reconnu comme un bâtisseur d'églises. La première qu'il construit est celle d'Acadieville. Cette église est maintenant la partie arrière de l'église actuelle et elle sert de chapelle. En 1887, les paroissiens travaillaient très fort pour avoir un curé résident. Leur désir se réalisa en 1892 lorsque le Père André Bérubé qui les desservait à partir de la paroisse de Saint-Ignace déménagea à Acadieville. C'est lui qui construisit l'église actuelle et le premier presbytère.

    L'abbé André Bérubé vient à Acadieville pour la première fois le 11 septembre 1887. Il s'était rendu à Rogersville avec Mgr James Rogers, évêque de Chatham, pour la confirmation des enfants de Rogersville et d'Acadieville. Le père Marcel-François Richard était le curé de Rogersville. Après la confirmation des enfants de Rogersville, tous les trois se rendirent à Acadieville pour la confirmation des enfants de la paroisse. André Bérubé écrit dans son journal:

[Dimanche, 11 septembre 1887.] Vers trois heures, départ pour Acadieville. A notre arrivée à Acadieville bénédiction du T.S.S par Mgr Rogers. M. Richard et moi commençons de suite à entendre les confessions des enfants à confirmer. Durant ce temps Mgr Rogers a eu un entretien d'au moins 2 heures avec les paroissiens d'Acadieville au sujet de la résidence du nouveau curé. Mgr ne décida rien et se défendit, tant bien que mal des objections de chacun. Après le souper, Mgr fixa, avec le consentement de M. Richard les limites de la nouvelle paroisse. Après quoi M. Richard se retira pour aller coucher chez un voisin de l'église. J'eus après le départ de ce dernier un petit entretien avec Sa Grandeur mais je ne puis rien n'avoir de bon, toujours Mgr fut dans le vague et impossible d'obtenir de lui une réponse satisfaisante.

[Lundi, 12 septembre 1887.] M. Richard dit sa messe à 7 hres, pendant laquelle tous les enfants de la confirmation communièrent. Cette messe terminée je commence de suite la mienne. 8 1/2 hres Mgr dit sa messe qui fut suivi d'un sermon et de la confirmation. Sa Grandeur annonça aux gens la division de la paroisse. M. Richard donna aux paroissiens la lecture des documents officiels des limites et autres affaires de la paroisse d'Acadieville, lesquels documents sont conservés dans les Registres de la dite paroisse d'Acadieville. La cérémonie terminée, déjeuner et départ pour aller prendre les chars à l'Acadieville siding. Je fus conduit à la station par M. Sylvain Bariault un des syndics d'Acadieville.

    A remarquer que le Père André Bérubé disait "monsieur" au lieu de "père". Pour garder l'originalité, les extraits du journal sont textuels. (c'est à dire comme il l'a écrit.

    Père André Bérubé partit ensuite pour Saint-Louis. Quelques jours plus tard il s'en alla à Saint-Ignace où il fut curé résident, avec Acadieville comme paroisse mission. Il fut reçu avec hésitation à Saint-Ignace vu que les gens de Saint-Ignace voulaient un prêtre à temps plein. Ils ont fait la remarque qu'ils n'avaient que la moitié d'un prêtre, puisqu'ils devaient partager leur curé avec Acadieville. Père Bérubé se rendait à Acadieville tous les deux dimanches.

    En 1887, Acadieville avait une toute petite église mesurant 30 x 25 pieds. Cette église sert maintenant de chapelle, c'est la partie arrière de l'église actuelle. Cette chapelle n'était pas si haute qu'elle est aujourd'hui, on a monté le toit de 9 pieds durant la construction de l'église.

    Une des premières activités du curé Bérubé fut de faire ouvrir un nouveau chemin entre Saint-Ignace et Acadieville. Il ne dit pas où passe ce chemin mais il parle du "grand mocoke". Il est tout probable que c'est le chemin qu'on appelle "la traverse de Saint-Ignace" ou son autre nom de "chemin du Buttereau". Un dénommé Narcisse Léger, de Saint-Ignace, conduisait le curé à Acadieville. Dans son journal, le 13 novembre 1887, Père Bérubé écrit:

[Dimanche, 13 novembre 1887.] Grand-messe sermon, vêpres et chapelet. Assemblée des paroissiens pour leur faire payer mes voyages d'Acadieville. J'ai collecté $3.25. Aucune difficulté à leur faire consentir à payer ces voyages. Retour à Saint-Ignace dans l'après-midi.

   En 1888, on bâtit à Acadieville une nouvelle grange. Le 1er septembre il écrit:

[Samedi, 1er septembre 1888.] Forte pluie toute la journée. On pique-nique dans la nouvelle grange. Du plaisir toute la journée. Le Rev. M. Richard curé de Rogersville est venu prendre le dîner avec nous. On a réalisé la somme de $57.00.

[Dimanche, 2 septembre 1888.] Les étrangers viennent visiter notre pique-nique. Tous les gens d'Acadieville [se] sont montrés fort gentils tous les deux jours. Victoria [sa soeur] est venu à Acadieville avec la voiture de M. Pol. Gallant.

 

CONSTRUCTION DU PRESBYTERE

    En septembre 1889, on commence à parler de la construction du presbytère. Un pareil projet ne se faisait pas sans discussions avec les paroissiens. Tout le monde n'était pas d'accord, comme Père Bérubé le souligne dans son journal:

[Dimanche, 8 septembre 1889.] Grand messe, sermon, vêpres, chapelet, salut. Assemblée de la paroisse pour la construction du presbytère. Calliste Daigle s'est montré fou comme à l'ordinaire. Le vieux Louis Babineau vieille tête dure. Joseph Richard s'est excité un peu trop. Disant qu'il avait pris conseil de M. Richard curé de Rogersville.

[Lundi, 9 septembre 1889.] Continuation du catéchisme. Visite du fou Calliste Daigle. Laurent Gallant retire son garçon du catéchisme.

[Mardi, 10 septembre 1889.] Mon Calliste Daigle, en fou est venu chercher sa petite fille qui devait faire sa première communion.

    Il fut même question à un certain moment de changer l'église de place. Cette décision devait se faire bien sûr avant la construction du presbytère. Voici quelques notes du Père Bérubé sur le sujet:

[Dimanche, 29 septembre 1889.] Joseph Richard et Olivier Barrieau d'Acadieville sont venus me consulter à propos du changement de place de l'église d'Acadieville.

[Dimanche, 6 octobre 1889.] Grande discussion sur le terrain de l'église au sujet de la descente de l'église chez le vieux Urbain Vautour.

[Lundi, 21 octobre 1889.] Presque tous les gens qui désirent que l'église demeure à sa place actuelle étaient présents. On a fait beaucoup d'ouvrage.

[Mardi, 22 octobre 1889.] On a mis à l'eau chez M. Némoire Pineau 215 billots pour la construction du presbytère. Les gens se sont montrés très gentils.

[Mercredi, 23 octobre 1889.] Il n'y avait qu'un seul homme qui avait donné son nom pour faire descendre l'église de présent. 9 personnes en tout et 2 chevaux. M. Némoire Pineau a reçu tout le monde avec beaucoup de courtoisie.

    Il est difficile ici de comprendre qui était pour ou contre le déménagement de l'église, mais nous voyons que les travaux pour le presbytère continuent quand même. On voit ici que le moulin de Némoire Pineau joua un grand rôle dans la construction du presbytère. Il sera aussi important, on le verra plus tard, dans la construction de l'église.

    Au mois de novembre 1889, Père Bérubé fait plusieurs remarques aux paroissiens à propos du presbytère. Il nous laisse même comprendre ici que toute l'affaire avait créé une dispute entre le haut et le bas de la paroisse. Il parle aussi pour la première fois de la construction de la nouvelle église.

[Dimanche, 17 novembre 1889.] Remarques faites aux paroissiens. Ma voiture pour les malades. Droits des bancs, dîmes, Travaux pour le presbytère ou sur la terre d'église. Question de bâtir l'église. Ce n'est pas à moi de donner la décision où doit être placé le presbytère. La paroisse n'agrandira pas. Les parcoureurs de liste menteurs - ce qu'ils méritent. Responsabilité des opposants. Les gens d'en bas disaient que ces gens d'en haut ne voulaient pas travailler. C'est le contraire qui est arrivé. Messes pour les travaillants.

    Puis on continue avec le presbytère (décembre 1889):

[Lundi, 16 décembre 1889.] Plusieurs hommes de la Branche du Nord sont à préparer les lambourdes du presbytère.

[Dimanche, 29 décembre 1889.] Assemblée de la paroisse. Discussion: du pont, de la vente du tringlage, des portes et des châssis du presbytère d'Acadieville.

    Mars 1890

[Lundi, 24 mars 1890.] On a charroyé le bois du presbytère.

    Avril 1890

[Lundi, 7 avril 1890.] Plusieurs personnes travaillent aux bardeaux du presbytère.

    En juillet 1890, en commence enfin à construire le presbytère. M. Fidèle Daigle, charpentier, sera un personnage important pour cette construction, comme il le sera aussi pour la construction de l'église neuve.

[Mercredi, 9 juillet 1890.] Je pars pour commencer les travaux du presbytère de l'Acadieville. Fidèle Daigle a beaucoup incliné à placer le presbytère là où il est.

[Jeudi, 10 juillet 1890.] Au-delà de 23 personnes ont travaillé à creuser les fondations du presbytère.

[Vendredi, 11 juillet 1890.] Même travaux et même nombre de personnes qu'hier.

    On travaille ainsi jour après jour...

[Mercredi, 16 juillet 1890.] On a commencé à lever le corps principal du presbytère. Les paroissiens m'ont demandé de rester là pour demain afin de finir de lever la bâtisse.

[Jeudi, 17 juillet 1890.] Au-delà de 75 à 80 personnes qui ont aidé le levage du presbytère. Aucun accident est arrivé. Tout a été comme une bénédiction.

    Les travaux de construction du presbytère se sont poursuivis durant l'automne. Au cours de l'hiver, le père Bérubé mentionne très peu le nouveau presbytère. On reprend par contre, le travail au printemps et le 18 septembre 1891 il écrit qu'on a terminé de le plâtrer. Les travaux se continueront petit à petit sur le presbytère. Père Bérubé y déménage d'une façon permanente le 12 octobre 1892. Ce presbytère deviendra la plus belle maison de la paroisse jusqu'à sa démolition en 1956 pour faire place au presbytère actuel.



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